Quand l’e-consommateur consume la planète
2018, manifestation contre Amazon à New York (© Scootercaster / Shutterstock.com)
Attention, travaux ! Je sais pas vous… mais moi, plus ça vient, plus je peste au volant : hiver comme été, pas une sortie sans tomber sur un chantier ou une déviation pour travaux sur la chaussée !
La qualité des revêtements serait-elle devenue si mauvaise qu’il faille les renouveler si souvent ? Mais non me direz-vous, c’est parce qu’il y a de plus en plus de voitures !
Eh bien détrompez-vous. S’il n’y avait que des véhicules légers circulant sur nos routes, elles seraient quasiment inusables. En effet, seules les intempéries (ça, on le voit bien) et les poids lourds portent atteinte à son intégrité.
Explication pour les matheux (selon la méthode de l’AASHTO*) : l’usure de la chaussée varie comme « la puissance quatrième du rapport des masses appliquées sur les essieux ». Autrement dit, on prend un poids lourd de 30 tonnes – roulant sur cinq essieux – et une voiture d’1,2 tonne – sur deux essieux : (6.000/600) à la puissance 4 = 10 000, ce qui signifie que la structure de la chaussée s’use jusqu’à 10 000 fois plus vite avec un camion qu’avec une voiture.
Explication pour le citoyen lambda : pour un même poids, plus la surface de contact est réduite, plus la dégradation est grande. Exercice pratique : essayez de marcher sur un lino avec des baskets ou avec des talons aiguilles… Eh bien pour les poids lourds et les voitures, c’est le même principe.
En Alsace, d’après les données de la DIR-Est, « en 2016, la charge moyenne du réseau routier national alsacien s’établit à 54 802 véhicules par jour, dont environ 13,25 % de poids lourds. Par rapport à 2015, le trafic routier moyen journalier est en augmentation de 1,05% pour l’ensemble des véhicules et de 3,50% pour le trafic poids lourds. »
Il n’est donc pas étonnant que la pollution s’accroisse et que les travaux routiers se multiplient… tant pour l’entretien que pour la construction de nouveaux contournements qui saccagent la nature et asphyxient le sol sous leurs enrobés ; et devinez qui finance tout ça ? Pas uniquement les poids lourds vous vous en doutez, mais bien sûr l’Etat, les régions, les départements, les communes… vous et moi en somme, via nos impôts. Impôts qu’Amazon via son « optimisation fiscale » ne paye pas en France bien qu’il soit un des principaux utilisateurs (et destructeur) de nos infrastructures routières.
Mais pourquoi tant de camions ?
Afin de satisfaire au plus vite nos irrésistibles envies de chaussures ou de smartphone dernier cri, les plateformes d’achat nous proposent systématiquement une livraison en 24 ou 48 heures et même parfois le jour-même si la commande est passée le matin.
« ? Qu’on me donne l’envie ? l’envie d’avoir envie ?»… Il nous l’a pourtant beaucoup chanté Johnny et ce n’est pas nouveau… au XIXe siècle Clémenceau disait déjà que le meilleur moment de l’amour (ou du désir), c’est quand on monte l’escalier… L’attente du plaisir, c’est déjà du plaisir, non ? Oui, peut-être, mais quoi qu’il en soit, ça retarde la rentrée d’argent et ça, de nos jours, c’est impensable !
Alors vite, on nous fait croire qu’on va nous livrer illico, gratos et même aller-retour si l’article ne nous plait pas, tout ça parce qu’on est les rois !… ça flatte notre ego et on tombe dans le panneau ! Nous sommes les rois, mais rois de quoi ?…
En moyenne, 30% des camions en Europe circulent à vide ou avec 10 ou 20 kg de marchandise. Quand Amazon enfourche les 700 chevaux d’un 40 tonnes, qu’importent la charge qu’ils transportent, la pollution qu’ils émettent, les dégradations routières, les conditions de travail des chauffeurs, l’essentiel c’est que nous recevions au plus vite nos jolies petites pompes pour parader devant les copines et avoir envie de commander encore très vite via ces lampes d’Aladin du e-commerce.
C’est pourtant tellement sympa de faire les boutiques avec les copines, cousines ou frangines et de sympathiser avec les vendeurs et vendeuses !
E-commerce, mais pas que…
Je n’ai évoqué ci-dessus que le transport routier généré par l’e-commerce mais celui de nos déchets dans le (tiers) monde entier, loin de nos yeux, celui de nos produits alimentaires (fruits, légumes, céréales, viandes…) à travers l’Europe posent aussi problème. Et puis allez, même si ce ne sont pas des 40 tonnes qui les transportent, pour me défouler, je balance mon porc… La peau du Jésus de Lyon est faite de boyau naturel. Or, l’élevage intensif des porcs en France rendant leurs boyaux trop fragiles pour cet usage, c’est chez des « éleveurs à l’ancienne » qu’ils sont achetés… où ça ? En Pologne ! Peut-être ferions-nous mieux de revenir à un élevage, une agriculture et un commerce de proximité qui soient respectueux de tout un chacun et de son environnement. Peut-être…
Notre consommation à tout crin épuise les ressources naturelles de notre planète, pollue l’eau et la terre, consume notre oxygène.
Consommons donc sans consumer !
Consommons responsable plutôt que de nous consumer à petit feu !
Mireille Masson
* American Association of State Highway & Transportation Officials
Un article fort intéressant, qui éclaire notre lanterne, tout en donnant à réfléchir. J’aime beaucoup !